BoP

Le BoP : késako ? pour qui, pour quoi ? que reste-t-il à faire ?

Un condensé de réponses ici et des lectures complémentaires  !

Qu’est-ce que le BoP ?

Le « BoP » désigne à l’origine les populations à la base de la pyramide des richesses économiques, c’est-à-dire les plus pauvres. L’acronyme -popularisé par C.K. Prahalad* en 2004- désigne aujourd’hui les stratégies business, radicalement nouvelles, qui répondent aux besoins et attentes des populations pauvres, en concevant ou rendant accessible des produis et services pour cette clientèle généralement délaissée. L’objectif -ambitieux- est de bâtir de nouvelles solutions de marché répondant à une logique de création de valeur partagée (pour l’entreprise et pour la société). C’est en effet, via ce prisme clients ‘fragiles’, la rencontre -difficile mais féconde- des problématiques ‘marchandes’ de l’entreprise avec les préoccupations de réduction de la pauvreté. 

Ces démarches BoP préfigurent un champ d’action totalement nouveau : des modèles où les richesses économiques sont intimement liées au progrès social, où les besoins de la société sont le point de départ de la création de marchés, où la réponse à ces besoins en détermine le succès. Bref, une nouvelle conception de l’entreprise qui réconcilie efficacité économique et utilité sociale dans la durée. Une ambition démesurée ?

* Dans son livre Fortune at the bottom of the pyramid, Prahalad met en avant que les entreprises ignorent les populations pauvres, considérées à tort comme des clientèles inaccessibles et non profitables. Prahalad soutient qu’avec des business models adaptés, les entreprises peuvent efficacement atteindre ces populations et en tirer des opportunités de marché considérables (4 milliards de consommateurs), tout en répondant à des besoins essentiels.

Quels sont les enjeux ?

Ces stratégies BoP doivent permettre l’amélioration des conditions de vie des publics concernés (en matière d’alimentation, de santé, de logement, d’accès aux services financiers…) par des approches innovantes de lutte contre la pauvreté utilisant le levier du marché. Pour les entreprises, les enjeux sont forts en termes de légitimité (assumer la responsabilité sociale d’une offre accessible à tous) mais aussi de performance économique durable (ne pas se priver de larges pans de consommateurs), d’innovation (apprendre des stratégies de rupture qui créent de nouveaux marchés) et de sens en interne (mettre à profit le cœur de métier sur des sujets clés de société).

Quels principes régissent ces modèles ?

  • Hybridation : le BoP n’est ni de la charité ni du low-cost : il conjugue les logiques sociale (répondre à un vrai besoin de société) et entrepreneuriale (prendre des risques, augmenter l’efficacité et l’impact). Il transforme les manières de travailler en croisant différentes disciplines (marketing, design, sociologie, anthropologie…) et compétences d’acteurs (capacité d’industrialisation des grandes entreprises, souplesse et inventivité des entrepreneurs sociaux…)
  • Innovations de rupture : les simples adaptations de produits/services ou process associés échouent : il faut sortir de sa zone de confort et créer de tout nouveaux modèles économiques en privilégiant une approche itérative, de longue haleine, en appréhendant les attentes profondes (besoins perçus vs demande réelle), en partant d’une intention, et non d’une solution.
  • Co-création & vision systémique : le BoP relève de l’action combinée d’une multitude d’acteurs (entreprises, acteurs publics, associatifs, académiques, publics bénéficiaires…) et d’une démarche inclusive globale : créer de la valeur mutuelle requiert d’impliquer les partenaires/bénéficiaires à chaque étape de la chaine de valeur (conception, distribution, marketing…) et de faire s’exprimer toutes les voix, dont celles des plus exclus, pour co-construire une offre de produits et de services accessible au plus grand nombre.

Quels grands challenges ? Tout reste à faire…

Ces modèles sont à l’état d’explorations et posent de nombreuses questions.

  • Où met-on le curseur entre exigences économiques et attentes sociétales ? Quel retour sur investissement ? La question n’est pas encore clarifiée pour beaucoup, en l’absence d’un questionnement plus global sur la refonte du business model des entreprises.
  • Par ailleurs, les entreprises se rendent compte qu’elles n’ont pas toute l’information pour prendre les bonnes décisions : les observations sur la pauvreté et la précarité sont en effet partielles, segmentées. Elles sont souvent sectorielles (précarité énergétique, alimentaire…) ou dédiées à un type de public (bénéficiaires du RSA, migrants…), se cantonnant généralement à la pauvreté monétaire. Ce point est important car il n’y a pas d’ajustement systématique entre conditions d’existence et revenus et, pour être plus efficaces, les organisations doivent mieux appréhender le caractère multidimensionnel de la pauvreté et les influences multiples sur la structure des budgets et les arbitrages de consommation. De nombreux acteurs aujourd’hui souhaitent développer une vision 360°, partagée entre différents secteurs d’activité et acteurs de la société. 
  • De nombreux changements apparaissent également nécessaires pour cesser de penser « à la place de ». Je m’explique : il y a une prise de conscience progressive de l’existence de biais dans les observations de la pauvreté, que sont notamment le regard misérabiliste, l’approche par les manques (que les analyses privilégient souvent au lieu de se concentrer sur les ressources et les forces des personnes pauvres), la vision fantasmée de leurs processus de décision… On doit reconnaître qu’on sait très peu de choses sur ces publics et qu’on doit aller bien au-delà des groupes témoins ou questionnaires donnant d’ailleurs rarement la bonne info ! Un travail énorme est à réaliser pour identifier ces zones d’ombre que sont les besoins latents, les désirs sous-jacents, les véritables priorités de consommation (en n’oubliant pas la dimension « plaisir » et « aspirationnelle » souvent négligée pour ces publics), leurs usages réels et les tactiques de prévention, les réponses de substitution (le fameux « système D » et les modes de consommation alternatifs plus globalement).
  • Cette reconnaissance d’ignorance va de pair avec la valorisation, encore très peu présente, du savoir « d’expérience », du « savoir vécu » de ces publics en situation de pauvreté, qui doit compléter celui des experts reconnus comme tels (sociologues, statisticiens, chercheurs…). Voir à ce sujet l’excellent livre de Geneviève Tardieu :

L’intégration de ce savoir est déterminante dans la réflexion globale sur l’innovation pour des produits et services pour tous (et non des produits/services dédiés à certaines catégories) et est repéré par de plus en plus d’entreprise comme un « booster » de créativité pour l’ensemble des cibles de clientèles.

  • Les évolutions décrites ci-dessus amènent les entreprises à vouloir travailler davantage à partir d’une intention, à partir d’une série de questions à tester avec les publics ciblés, plutôt qu’à partir d’une solution pré-établie. On sort progressivement d’une approche « technique » pour aller vers une approche davantage centrée sur l’Homme et ses besoins. Cela implique d’autres méthodes d’identification des besoins et attentes et une nouvelle relation client, qui soit plus proche et qui renforce le lien de confiance. Cela implique également pour l’entreprise de développer une vraie exigence vis-à-vis des clients fragiles et plutôt que de penser à les « éduquer », apprendre d’eux, se renforcer à partir de leur expérience et vision.