Ce n’est pas nouveau, et pourtant c’est terriblement rafraîchissant et stimulant quand on se replonge dedans…
En 2018, prenez un grand bol d’ART pour réveiller l’innovation, et la vie en général !!
Brice Marden, Thira (1979 – 1980)
Cette peinture sur 18 panneaux (!) ressemble à un grand jeu de construction. Les formes sont très simples et elles n’ont pas de destination obligatoire, comme lorsqu’on joue avec des Kapla. Dans la façon de les assembler, l’artiste suggère des portes, des fenêtres ou autre chose… La sortie d’un labyrinthe ? Les zones colorées en T rappellent celles d’une construction de base : la rencontre du pilier (vertical) et du linteau (horizontal). Rassurés par la stabilité de cette géométrie, on est aussi encouragé à en dépasser les limites…
L’oeuvre s’est inventée au fur et à mesure, en éliminant beaucoup de formes jugées nécessaires au début. « Enlever c’est ajouter », disait Serge Poliakoff. Finalement, se dégagent les grandes lignes et seul subsiste l’essentiel. Ce n’est pas prévu au départ et cela demande beaucoup de temps !
Ce n’est pas tant la qualité technique qui est recherchée ici que la valeur de l’histoire à raconter, celle de l’expérience à éprouver.
Wassily Kandinsky, Jaune Rouge Bleu (1925)
Dans cette composition, les lignes géométriques rencontrent les formes libres dans un jeu d’oppositions et de complémentarités et un bouillonnement de courbes et contrecourbes, de lignes obliques et ondulées.
La manière dont Kandinsky est parvenu à l’abstraction est à l’image de ces trajectoires obliques : elle est l’oeuvre de la sérendipité ! En 1908, il entre dans son atelier faiblement éclairé et aperçoit un tableau qu’il ne connaît pas. Il se demande qui a bien pu le placer là. En s’approchant, il découvre qu’il s’agit en fait d’une de ses toiles posées sur le côté ! Cette position lui donne une signification totalement nouvelle et inconnue.
La rupture de sens est une ouverture de sens : l’artiste a alors la conviction que la figuration nuit à sa peinture et qu’il lui faut larguer les amarres ! Il veut désormais travailler librement, s’extraire de toute référence et imitation, et chercher à exprimer, non plus une ressemblance, mais un ensemble de sensations en quittant la surface, en puisant au plus profond des choses.
« L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible » – Paul Klee
L’abstraction ouvre des chemins de traverse. Elle concentre les éléments d’expression jusqu’à l’obtention de la forme visuellement la plus simple pour capter l’essence, le sens ultime des choses et introduire plus de vérité et de sensibilité humaine. « Est beau ce qui procède d’une nécessité intérieure de l’âme », disait Kandinsky…
René Magritte, La Condition humaine (1933)
L’image, simple en apparence, se complique de plus en plus à mesure qu’on la regarde. On s’enfonce dans une énigme et s’interroge sur ce qu’on voit sans vraiment trouver de réponse à ses questions.
L’artiste entretient tromperies et contradictions pour relancer la pensée ! Un bon entraînement pour ne pas accepter passivement ce qu’on nous montre, observer la réalité avec ouverture et sensibilité, en ne se laissant jamais enfermer par les apparences.
La peinture nous rappelle notre « condition » : la nature humaine cherche à atteindre des certitudes mais est souvent prise au piège de ses illusions…
Georg Baselitz, Sans titre (2016)
Depuis des siècles, les conventions veulent que, dans une toile, le ciel soit en haut et la terre en bas. Renversement en 1969 : Georg Baselitz décide de montrer le monde à l’envers !
L’artiste allemand refuse les règles visuelles et picturales et peint en inversant le motif. Il affirme son point de vue singulier. « J’ai décidé de faire des tableaux inefficaces » déclare un jour Baselitz. Il revendique par là une peinture qui ne va pas de soi, qui ne cherche pas l’harmonie ou l’équilibre des formes et des couleurs, mais au contraire un déséquilibre, échappant à tous dogmes et idéologies préétablis, proposant de nouvelles échelles de valeurs.
Invitation à développer des projets plus inventifs, détachés du marché ou de la mode, et une pensée moins consensuelle, plus corrosive et cultivant la tension créative !
Salvador Dalí, Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une grenade, une seconde avant l’ éveil (1944)
En laissant surgir le rêve (ici celui de Gala, sa femme), le peintre surréaliste montre avec clarté ce qui, dans la vie réelle, est obscur : l’expérience du trouble, du décalage, du glissement vers l’incontrôlable et la puissance de l’imaginaire, de l’irrationnel qui échappe aux normes et aux règles de la société.
Dalí crée de nouvelles relations entre les choses. Il ouvre un monde d’idées et d’images disparates que normalement rien ne relie. Il libère des associations incongrues de formes, de situations et de personnages d’origines diverses et finalement les histoires les plus incroyables semblent normales, même un poisson qui crache un tigre !
Le surréalisme est cet « art magique » comme le décrivait le peintre Victor Brauner : ce « feu spirituel pour changer la vie et transformer le monde, feu rayonnant sur les barreaux de prison mentale que constituent les systèmes idéologiques contemporains ».
Les artistes n’oublient pas la vie réelle, bien au contraire : ils la voient avec plus de liberté, d’attention et de fantaisie !
Jackson Pollock, Number 14: Gray (1948)
L’oeuvre de Jackson Pollock apparaît comme pulsionnelle, résultant de l’expression libérée, spontanée, directe, de l’énergie vitale de l’artiste et de son intuition mais aussi des divers comportements aléatoires des coulures et mélanges de matières utilisées. Elle est un témoignage du corps vivant, en action et en mouvement dans l’instant (« action painting », par dripping, c’est à dire égouttage de couleurs). Ce qui est recherché : l’engagement maximal et fluide pour dépasser ses limitations (le « flow »).
L’artiste se donne tout entier, sans savoir précisément où aller, dialoguant avec ce qu’il fait, faisant dialoguer les formes et les matières entre elles : « Quand je suis dans ma peinture, je ne suis pas conscient de ce que je suis en train de faire. C’est seulement après une période où je fais connaissance que je commence à savoir à quoi j’ai travaillé ».
Mouvement, surprise, lâcher-prise, ouverture, spontanéité… L’art de la découverte non planifiée !
Erwin Wurm, Caravane du pavillon autrichien (biennale Venise – 2017)
Dans le pavillon autrichien, Erwin Wurm a joué à transformer les visiteurs en sculptures avec une bonne dose d’humour !
Les spectateurs, invités à prendre la pose autour de la caravane, deviennent ici acteurs, partie intégrante d’une oeuvre qui manipule les notions d’immersion, de proximité, de curiosité sur le monde, de co-création et de légèreté…
Une occasion de rappeler que les artistes ne travaillent pas dans une tour d’ivoire : « ils se trouvent au coeur de la réalité et leurs oeuvres en sont nourries : elles sont un concentré de vie ! » (Françoise Barbe-Gall).
Florian Rivière, City is a Playground – Hopscotch without Hope (Dublin, 2012)
Derrière la banalité du quotidien, faire surgir l’insolite, remettre en cause nos automatismes…
Avec cette marelle stoppée par un grillage, Florian Rivière ouvre un questionnement et un accès simple à une réalité parallèle dans la ville, là où on ne s’y attend pas. La rue prend soudain de la consistance, par une intervention-distanciation minimaliste.
Ce détournement du décor de la rue participe d’une réappropriation, d’un retour de l’humain pour se frayer son propre chemin dans l’espace urbain : ne plus s’absenter de sa propre existence, ne pas oublier ses rêveries d’enfance et retrouver un oeil à l’affût sur les choses qu’on ne voit plus.
Ce « hacking » urbain consiste pour Florian Rivière à ouvrir sa propre perception : « Tout ce qui m’entourait était figé, dans le sens où je nommais les choses tel qu’on me l’avait appris, sans me poser de questions. Alors qu’un enfant, face à un objet, est libre de tout concept, il joue avec. Il peut voir le monde comme une pâte à modeler. Je voulais revenir à cette plasticité mentale. »
Le street art de façon générale invite à une vraie liberté de regard et à une totale authenticité sur le plan humain.
Aujourd’hui, l’artiste cherche à détourner ses propres comportements : « Dans la rue, je vais ramasser les déchets sur mon passage, ou être le dernier à entrer dans le métro. Je me suis hacké moi-même et je crois que c’est la clef vers le bonheur… »
Pierre Huyghe, Shore (2013)
Un mur a été poncé, révélant une couche verte antérieure. Au sol, la matière qui en est tombée se répand comme un sédiment précieux. Au pied du mur, un fossile de tortue est là, comme sur un rivage abandonné.
A l’ère de l’anthropocène, Pierre Huyghe rend sensible la dimension vivante et organique d’un espace envisagé comme un monde en soi, non orchestré, vivant selon ses propres rythmes. Il rend visible la circulation, le jeu et les intensités produites entre les éléments .
« Je m’intéresse, explique Pierre Huyghe, à l’aspect vital de l’image, à la manière dont une idée, un artefact, un langage peuvent s’écouler dans la réalité contingente, biologique, minérale, physique. Il s’agit d’exposer quelqu’un à quelque chose, plutôt que quelque chose à quelqu’un. »
L’artiste invite le visiteur à sortir d’un regard « anthropocentré » pour revenir à un environnement où la vie et le contingent peuvent retrouver leurs droits.
Michael Landy, Art Bin (2010)
Lors d’une exposition à Londres, Michael Landy proposait de jeter dans l’immense poubelle de plexiglas toutes les réalisations ratées par des amateurs ou artistes.
Selon Michael Landy lui-même : « Aucune œuvre n’est assez bonne pour ne pas se retrouver dans cette poubelle ».
Mais cette « poubelle » artistique se voulait un monument à l‘échec créatif : rendre hommage à l’erreur, cultiver l’humilité, et l’humour sur soi !
Par ici pour d’autres inspirations
Merci à : Beaux Arts Magazine, Dictionnaire amoureux de l’Art moderne et contemporain (P. Nahon), L’art du XXIè siècle (Phaidon), Comment parler de l’art du XXe siècle aux enfants (F.Barbe-Gall), Street Art, poésie urbaine (S. Pujas), https://www.centrepompidou.fr/