Le rapport Beylat-Tambourin sur l’innovation, j’y pense et puis j’oublie ?

« L’innovation, un enjeu majeur pour la France : dynamiser la croissance des entreprises innovantes », le rapport de 142 pages de Jean-Luc Beylat et Pierre Tambourin, a été remis au gouvernement en avril. Voici ma synthèse, sélective, de points clés parfois dilués dans le rapport qu’il est bon de souligner ou rappeler, avec une forte inspiration sociétale :

Les constats

On assiste à un véritable bouleversement mondial à des titres divers :

  1. Nouveaux enjeux sur la rareté des ressources
  2. Vélocité des technologies, démocratisation de l’accès au savoir et aux données via internet
  3. Nouveaux paradigmes technologiques, mais aussi organisationnels, économiques et sociétaux : « l’innovation structure les économies, les sociétés, les futurs »
  4. Globalisation ascendante des initiatives
  5. Développement économique accéléré des pays dits émergents, avec une présence de plus en plus prégnante dans le champ de l’innovation.

La France dans tout cela :

  1. La France est identifiée dans le dernier tableau de bord de l’innovation de l’UE (2013) comme appartenant au groupe des «pays suiveurs», en décrochage par rapport au groupe des pays leaders (Allemagne, Danemark, Suède, Finlande)
  2. La France oscille entre le rêve américain de la Silicon Valley, où des innovations de rupture sont portées par des start-ups, le rêve allemand d’un Mittelstand industriel bien établi et performant en innovation incrémentale, et une tradition française de la planification industrielle dans des filières régaliennes. Cette oscillation brouille la représentation que la France se fait de l’innovation car elle mélange innovation de rupture, innovation incrémentale et « politique industrielle stratégique »
  3. Cette représentation de l’innovation est impactée par une certaine perception de la créativité en France : les Français sont ceux qui pensent le moins qu’être créatif peut apporter de la valeur à leur société: 53% y croient contre 76% des américains par exemple 
  4. La sensibilisation et la formation à l’entrepreneuriat, à l’innovation ou à la créativité, sont peu développées dans les cycles primaires, secondaires et du supérieur 
  5. En France, la culture de l’innovation technologique est tellement forte que seules 23 % des entreprises françaises pratiquent l’innovation non technologique, contre 47 % des entreprises allemandes et 60 % des entreprises japonaises.

Les préconisations

Changer radicalement notre mode de penser l’innovationen passant « d’une vision où la dépense de R&D est la principale préoccupation à une vision systémique »

N.B : L’innovation est définie dans le rapport comme un processus long au bout duquel sont créés des produits, des services ou des procédés nouveaux qui font la démonstration qu’ils répondent à des besoins (marchands ou non marchands) et créent de la valeur pour toutes les parties prenantes.

  1. L’innovation n’est pas seulement technique/ologique, ses composantes clés sont les suivantes : « esprit visionnaire, prise de risque, acception et apprentissage de l’échec, capacité d’initiative, culture du projet et volonté d’aboutissement ». L’innovation nécessite « d’être à l’aise avec les incertitudes et les ambiguïtés, d’être capable d’identifier des opportunités que d’autres ne verront jamais et de se focaliser dessus, d’être tenace, persistant, courageux, tout en étant perméable aux idées et aux conseils ». Le rapport promeut ainsi la diffusion de la culture de l’expérimentation et son corollaire, la non-stigmatisation de l’échec, qui « doivent être de plus en plus intégrées non seulement à la formation, mais aussi communiquées à travers les grands canaux d’information ».
  2. L’innovation est au carrefour de plusieurs domaines :                                                                                                                                                               ….au croisement des métiers : « L’innovation non technologique, le design, le marketing sont des ressorts à développer pour permettre une meilleure valorisation économique de la R&D. Le design, lorsqu’il s’exprime en synergie étroite avec les autres acteurs du processus d’innovation, peut être décisif pour la prise de part de marché. En adoptant le regard de l’utilisateur, le design devient l’interface intelligente entre l’offre et la demande de produits ».                                                                                                                        …au croisement des acteurs : « Le moteur le plus efficace pour stimuler l’innovation s’est avéré être celui des réseaux d’acteurs, désignés habituellement comme les écosystèmes. […]  L’innovation est avant tout affaire de stimulation et de confrontation à des points de vue différents ». Le rôle des clusters et des écosystèmes innovants, comme les pôles de compétitivité, est ainsi souligné. Il s’agit de « développer la circulation de l’intelligence » : « tout doit être fait pour que plus de personnes s’engagent dans des processus relevant de l’innovation ». Ce qui nécessite un changement de culture, souligne le rapport… Et exige aussi « d’atteindre et de maintenir un niveau significatif d’échanges, de confiance, de compréhension des enjeux et des objectifs des uns et des autres ».

Définir et développer une politique publique de l’innovation 

Le rapport précise qu’il ne s’agit pas de dépenser plus d’argent public pour l’innovation, mais de le dépenser autrement et de manière plus efficace, et ce sans définir un modèle unique de l’innovation, mais en s’appuyant sur la vision décrite plus haut et sur les invariants suivants:

  1. le décloisonnement entre jeunes entreprises, grands groupes, recherche publique, enseignement supérieur et investisseurs
  2. la culture de l’entrepreneuriat
  3. la diversité culturelle : « une politique publique de l’innovation doit permettre une grande diversité des cultures et des savoirs ». Le rapport souligne l’importance de l’immigration des talents, en citant l’exemple de la Silicon Valley, où la proportion des start-ups créées par des migrants s’élève à 52,4 % !

Repenser les méthodes pédagogiques dans l’enseignement

« Développer dès l’école primaire les qualités nécessaires à l’innovation et l’entrepreneuriat : travail collectif, prise de parole, expérimentation, démarche de projet (construction en avançant), apprentissage par l’échec… ». Le rapport fait le rapprochement intéressant entre les fablabs et l’apprentissage par la manipulation et l’expérimentation (cf. La main à la pâte).

Reconnaitre tout particulièrement le rôle et la spécificité des dynamiques territoriales

« La politique publique doit être systémique mais doit aussi, en même temps, reconnaître que l’innovation se développe dans des territoires, qui ont des spécificités (histoires, acteurs…). Il n’y a donc ni optimisation conceptuelle, ni schéma normatif à attendre ».

3 thoughts on “Le rapport Beylat-Tambourin sur l’innovation, j’y pense et puis j’oublie ?

  1. Merci cette synthèse très claire.
    Cela donne un bon éclairage sur l’état de l’innovation en France.
    Très inspirant !

  2. Vraiment très éclairante et structurante cette synthèse. Merci Olivia. Je partage sur LinkedIn!

  3. très intéressant mais comme dans tout processus d’innovation, qui va creuser ces idées, les développer et les mettre en place ?

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