Tout est à réinventer. Enjoy !

LDInterview de Louis-David Benyayer

Co-fondateur et animateur de la communauté d’innovateurs Without Model dont la mission est de construire et généraliser les modèles économiques ouverts, collaboratifs et responsables.

Pourquoi parler autant aujourd’hui d’innovation dans les business models ?

Nous vivons une époque passionnante, pleine de défis, qui nous imposent de repenser la création de valeur :

  1. La population mondiale a doublé au cours des 50 dernières années et va continuer de grossir à un rythme sans précédent
  2. Les ressources naturelles sont devenues rares
  3. Les individus n’ont jamais été aussi libres et instruits
  4. Les modèles qui ont dominé le XXème siècle volent en éclat et des outsiders remettent en cause l’ordre établi.

Ces caractéristiques du monde dans lequel nous vivons nous imposent de redéfinir nos modes de production et de consommation, de création et de répartition de richesses. Pour les entreprises, cela signifie : construire de nouveaux modèles économiques, plus ouverts, plus responsables, où les individus et leur écosystème ont une place plus importante.

Quel meilleur exemple à ce jour ?

Il y a de nombreux exemples de nouveaux modèles économiques. Nous étudions particulièrement les modèles ouverts, collaboratifs et responsables. Par exemple, les modèles issus de l’open source se développent maintenant dans des territoires nouveaux, ceux de l’économie collaborative ou circulaire. Ces modèles-là font coexister valeur sociale et économique et ne sont plus marginaux : ils concernent aussi bien les grandes entreprises que les startups. Wikispeed (1)Un exemple particulièrement éclairant de ce point de vue est Wikispeed. Animée par Joe Justice, l’équipe Wikispeed a conçu puis fabriqué en trois mois une voiture performante, homologuée pour rouler aux Etats-Unis. Tout cela avec peu de capital, et sans outil industriel. L’atelier de production occupe l’espace équivalent d’un container. Ce sont des amateurs volontaires (dispersés sur tout le territoire américain) qui ont conçu et fabriqué les premiers modèles, financés via une plateforme de crowdfunding. Les plans de la voiture sont librement accessibles pour permettre à des équipes dispersées dans le monde de faire évoluer la conception et de produire des voitures localement et simplement.
Dans cet exemple, plusieurs éléments sont particulièrement intéressants en termes de modèles économiques :

  1. déplacer la contrainte économique en mobilisant des contributeurs volontaires et en pré-vendant les voitures via le crowdfunding
  2. remplacer les dépenses en marketing par un activisme et une communication sur les réseaux sociaux
  3. ouvrir la conception et les méthodes de fabrication, les mettre à disposition du plus grand nombre.

Comment généraliser de tels business models ?

Ces transformations semblent être plus à la portée de startups : pas d’historique, pas de métier pré-existant, pas de base de clients installés… autant d’avantages pour l’innovation de modèle économique (il y a bien sûr des contre-exemples connus de grandes entreprises qui ont réussi des innovations de modèles économiques importantes). Mais la tâche n’est aisée pour personne et nous retenons 4 capacités clés à développer pour innover dans le modèle économique :

  1. La première, c’est une capacité subversive : aller contre les règles. Pas d’innovation de modèle économique sans la contestation des règles admises dans une industrie.
  2. La deuxième capacité, c’est l’expérimentation. Les plans et les anticipations sont peu probants pour tester l’appétence des clients ou la capacité à délivrer le service. Il faut faire de nombreux tests à petite échelle pour trouver la bonne adéquation entre proposition de valeur, revenu et organisation.
  3. La troisième capacité, c’est mieux tolérer l’échec : quand on expérimente, on cherche à apprendre, pas à réussir. Et pour apprendre, il faut se tromper !
  4. Enfin la dernière, c’est l’ouverture. Ouverture au sein de l’organisation : penser simultanément offre, organisation, prix, partenariats, achats. Ouverture au-delà de l’organisation : construire et nourrir un écosystème et pas seulement gérer des clients et des fournisseurs.

Quels sont les terrains où se développent le plus ces innovations de modèle économique ?

Aujourd’hui le constat est partagé que le modèle économique est un levier concurrentiel au même titre que la technologie, les produits ou l’organisation. On voit donc de nombreuses entreprises, grandes, moyennes ou en démarrage s’interroger fondamentalement sur leur modèle, les exemples ne manquent pas.
Il y a un champ particulièrement intéressant où se développe cette réflexion, un champ qui traditionnellement était peu exposé à ces questions, le champ de l’action sociétale. D’une part, les défis sociétaux sont très importants (éducation, santé, accès à l’eau…) et sont présents dans les pays émergents comme dans les pays occidentaux. D’autre part, les ressources traditionnellement mobilisées pour y répondre sont en diminution. Ces deux phénomènes forment une sorte d’effet ciseaux où les besoins augmentent rapidement alors que dans le même temps les ressources diminuent. C’est un terrain très favorable à l’innovation de modèle économique. Les Mooc dans l’éducation, la reverse innovation dans la santé, les stratégies BoP ou shared value sont quelques exemples de nouveaux modèles économiques au croisement de la création de valeur économique et sociale.

Un dernier mot “festif” ?

Ce qui est certain et particulièrement stimulant c’est qu’on assiste à la fin du modèle unique. Auparavant, un seul modèle économique dominait et l’enjeu pour les organisations était de le maîtriser pour être performantes. De plus en plus, au sein d’un secteur, des modèles économiques très différents coexistent et cette variété va probablement augmenter dans l’avenir proche.
La bonne nouvelle dans tout ça, c’est que les possibles sont nombreux. Tout est à ré-inventer : les modèles comme les méthodes. Profitons de ce moment d’ouverture pour construire l’avenir que nous voulons. Profitons-en aussi pour nous amuser avec de nouvelles façons de collaborer : place au jeu !