Après plusieurs interventions sur l’innovation ouverte, je réalise ô combien ce vaste champ mérite clarification pour tirer toutes les conclusions de cette innovation pour l’innovation qu’est l’open innovation !
Ohhh 3 fois le mot innovation dans cette fin de phrase ! Eh bien retenez que l’innovation ouverte c’est justement 3 types d’innovation à la fois : le bottom-up, l’inclusion et la participation (voir leur définition ci-dessous).
« Mais enfin ce sont 3 choses en même temps, c’est impossible ! » me direz-vous.
Et peut-être que vous avez raison, parce qu’on n’est pas encore allé jusqu’au bout de la logique de l’ouverture pour former ce trio… où pourraient naître les meilleures surprises.
Mais cela suppose de changer certaines règles du jeu, et déjà d’accepter qu’elles puissent changer…
Open « Ascendant » : la carte gagnante du terrain
S’inspirer, se nourrir du bouillonnement créatif et des pratiques émergentes, alternatives, développées en toute autonomie sur le terrain, est un pilier de l’innovation. Les start-ups occupent aujourd’hui le devant de la scène, si bien que certains jugent la capacité innovatrice d’un écosystème à partir du volume de levées de fonds des startups, alors que certaines initiatives citoyennes moins visibles changent la donne de leur territoire et inventent de nouvelles façons de faire avec parfois très peu de moyens ! C’est qu’il faut voir différemment nos ressources pour innover : rendre visible les ressources cachées dans la société civile, les talents de toutes sortes dans notre environnement, dans les startups et ailleurs (même si aujourd’hui, heureusement, les frontières se brouillent de plus en plus entre startups technologiques et « sociales »). L’augmentation de moyens financiers, l’empilement de couches, la sophistication technologique nous rassurent dans notre éternelle logique d’artillerie lourde et inflexible, alors qu’on peut innover avec des choses simples, souples et astucieuses qui émanent du terrain. L’exemple de Détroit aux Etats-Unis est impressionnant à cet égard : la ville se réinvente, réinvente l’existant, à partir d’un foisonnement de solutions légères et avant-gardistes, imaginées et mises en oeuvre par les habitants eux-mêmes. Les citoyens, les « consommateurs », inventent, au quotidien, avec des contraintes propres à leurs contextes particuliers qu’ils apprennent à contourner. Il y a là une vraie « expertise d’usages », extrêmement instructive pour innover (cf. grass-root innovation). Observation valable en interne : vous savez, ces salariés tout en bas de l’organigramme… Et si on les voyait comme des poissons pilotes pour l’organisation ?
Open « Inclusif » : jouer hors-limites
Repousser les limites de l’accès de ses produits ou services auprès du plus grand nombre d’utilisateurs stimule une quantité d’innovations, y compris high-tech (on associe à tort inclusion et offre dépouillée, low-cost et low-tech). Que l’on pense par exemple à la commande de nos applications par la voix, pensée initialement pour les personnes en situation de handicap. S’intéresser à la plus grande diversité de publics est un puissant aiguillon pour l’innovation. De nombreux produits et services ont été inventés à partir de la prise en compte des besoins les plus compliqués, ces besoins non résolus de publics en conditions contraintes, voire « extrêmes ». A contre-courant des modèles dominants, l’innovation « inversée » a fait son apparition : on prend conscience que ce qui vient des pays « émergents » ou plus largement des milieux « populaires », dits à la base de la pyramide des richesses économiques (le fameux « BoP »), peut se diffuser à l’ensemble des couches de la population, jusqu’au top de la pyramide. Et ce, avec un vrai saut de valeur : l’invention de solutions moins onéreuses et de meilleure qualité.
Mais nous n’avons pas toujours l’audace d’aller chercher dans ces marges, réputées impossibles d’accès, là où sont pourtant de grands gisements de créativité. Est-ce qu’on accepte véritablement de renverser nos perspectives : le « BoP » qui inspire le Top de la Pyramide ?
Open « Participatif » : jouer collectif… attention piège
On a dépassé, au moins dans les esprits, la vision descendante et fermée du « consommateur » qui reçoit en mode passif ce qu’un producteur unique et omniscient a pensé pour lui et fait rentrer dans ses usages, à coups de marteau si nécessaire.
Aujourd’hui, bienvenue au collaboratif et au participatif… parfois jusqu’à l’écoeurement !
Il y a pourtant une vraie promesse derrière le buzzword… quand le résultat n’est pas de tout faire peser sur le citoyen ou le consommateur : le faire faire par, plutôt que faire avec. A la sauce Ikea, mais sans le gain économique, on enjoint parfois le consommateur à être bien plus qu’agile : contorsionniste… Tricky !!
Parfois les intentions sont très louables, on pense réellement au gain pour le « bénéficiaire » mais cette logique, encore très prégnante, est finalement très descendante : on pense pour, à la place de et non avec. Et en fin de chaîne, le bénéficiaire sera toujours le boulet, celui qui ne comprend pas : l’innovation irait ainsi « plus vite que la capacité des gens à en intégrer les nouveaux usages » entend-t-on souvent ! Pauvres gens qui ont du mal à intégrer… Mais ne serait-ce pas plutôt une très mauvaise compréhension de ce qu’est l’innovation ? Une invention qui trouve son marché, qui s’inscrit dans des usages réels, des envies, des aspirations, dans les motivations intrinsèques et l’imaginaire des gens ! Où sont ces univers et ces désirs naturels dans les projets d’innovation ?
Si on veut que les gens participent, il faut peut-être voir en amont avec eux ce pour quoi ils sont prêts à donner de leur temps et de leur énergie, ce à quoi ils ont envie de participer !
Quel est le point de départ de la contribution ? Est-ce une réaction à une question, un problème posé unilatéralement par un acteur « expert » en amont ? Ou un désir commun de faire ensemble, à partir d’une problématique définie collectivement ?
On confond parfois consultation/concertation et co-création. C’est bien de mener des enquêtes, de faire des sondages, de poser des questions… mais les gens peuvent-ils avoir leurs propres interrogations ? Les gens répondent aux questions qu’on leur pose… Que l’on ne soit pas déçu des études consommateurs, aux résultats si peu innovants car on en a arbitrairement délimité le champ !
Il faut provoquer le débat, convoquer le maximum de personnes dans la définition des termes du débat. Ce qu’a fait la ville de Brest sur le numérique par exemple, ce n’est pas un appel à contributions sur un texte donné, mais un « appel à envies » (49 projets sur 50 ont été retenus, notamment un Wiki Brest), véritablement ouvert sur la société.
Peut-on bâtir dans d’autres domaines une vision partagée des défis à relever ? Imaginer un nouveau récit commun, penser ensemble le champ des possibles, pour se projeter collectivement sur les opportunités d’avenir ? Ce n’est pas facile à organiser, d’accord, mais seule une collaboration de ce type est à même de libérer l’énergie nécessaire pour un grand projet d’innovation. Répondre à une série de problèmes énoncés par un acteur unique est extrêmement peu stimulant. La désirabilité du projet, son caractère positif et son inscription dans une véritable motivation du « contributeur », au coeur des propres réalisations qu’il projette, est essentielle pour l’engagement de tous les acteurs. Et faire avec, ce n’est pas co-gérer une situation à un bout d’une chaîne qu’on ne maîtrise pas, mais co-concevoir, en partenariat, l’ensemble du projet. On parle beaucoup aujourd’hui de « réenchantement de l’expérience », de plaisir et de fierté à contribuer dans des projets d’intelligence collective, mais comment générer un tel sentiment si l’on ne se sent pas réellement acteur de la transformation, si l’on est convoqué sur un tout petit morceau de la partition ?
Par ailleurs, seul un vrai dialogue, de bout en bout, peut permettre de ne pas passer à côté des innovations de sens, trop souvent négligées : ces ruptures mentales (nombreuses aujourd’hui !) dans la façon de se représenter un objet, un service, une expérience… tous ces angles morts qu’il est fatal de ne pas voir car ils sont cruciaux pour la (re)définition du besoin et donc pour le succès d’un projet d’innovation.
Alors dans tout ça, nos règles…
Il faut les oublier. Prendre le risque que tout ne soit pas programmé, que l’innovation ne soit plus maîtrisée, qu’elle s’organise, oui, mais plus comme avant : qu’elle soit distribuée, avec des réseaux spontanés, qu’elle se développe dans une logique de beta permanente, sans plan précis décidé à l’avance, qu’elle itère, qu’elle pivote, qu’elle évolue continuellement avec de nouveaux entrants, avec des acteurs que l’on ne connaît pas (encore), avec de l’improvisation créative, dans un nouveau jeu, vivant, mouvant, où les cartes sont rebattues sans cesse !
Mais est-on prêt pour ce jeu-là ? Accepte-t-on d’introduire de la déstabilisation, un peu, beaucoup… partout ?
Allez, et si on se lançait vraiment et réalisait ces 3 désirs à la fois : ascendant, inclusif et participatif ? Je fais le pari que de là naîtront les innovations les plus singulières.
Pour conclure, la parole à mes acteurs préférés :
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