La soutenable légèreté de 2014

Nouvelle année, nouvelles floraisons ? 2 + 0 + 1 + 4 = 7 ! Portés par la magie de ce chiffre, voici 7 possibles, 7 acrobaties frugales, tout en légèreté pour 2014

Il était une fois… :

#1… l’élasticité des « objets »

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Centre national des arts du cirque www.cnac.tv – Spectacles des écoles de cirque – CIRCa (2000)

Et si tous les objets se déformaient, reformaient, transformaient ?
Il ne s’agit pas là de pures considérations sur la modularité physique mais d’un changement de regard sur les choses. Rien ne nous oblige à rester enfermés dans la dimension artefact de l’objet et dans le cadre de définitions établies.
La réflexion sur les nouveaux usages et l’esprit du life hacking nous invitent à considérer finalement toute chose comme une « coquille » éphémère, à ne pas se demander ce que l’objet est mais ce qu’on peut en (dé)faire, à voir partout les espaces vacants et féconds. On peut re-chercher de nouvelles libertés dans les contraintes de l’objet, voire en sortir complètement. L’internet des objets confère déjà une identité nouvelle à ces derniers en les rendant « vivants », associés à une panoplie de services, mais on peut adopter plus généralement une pensée mouvante sur les choses : que nous indiquent par exemple un trottoir producteur d’électricité, un toit de gratte-ciel transformé en ferme urbaine, des voitures mutantes en kit open source (voir l’étonnant OSvehicle !) ou encore des allumettes devenues jouets puis outils éducatifs ? Que rien n’est immuable et que nous pouvons toujours générer des alternatives, en opérant des décalages, en suspendant les raisonnements habituels, en pensant des combinaisons nouvelles… Nous pouvons en toute chose explorer des voies inédites, nomades, à l’image du cirque contemporain (photo) qui, en présentant des disciplines comme le fil ou les tissus sous des axes inattendus, démultiplie les points de vue et ouvre notre champ de vision au-delà du connu !  » La joie n’est pas dans les choses, elle est en nous « .

#2 …l’inversion positive : du bas vers le haut, quand moins donne plus !

Centre national des arts du cirque - THIS IS THE END, spectacle de fin d'études de la 23e promotion, mis en scène par David Bobee (2011) - © Philippe Cibille
Centre national des arts du cirque – THIS IS THE END, spectacle de fin d’études de la 23e promotion, mis en scène par David Bobee (2011) – © Philippe Cibille

Et si on prenait le contre-pied des modèles dominants ? Et si moins pouvait être plus ?

C’est vers ce point de bascule que chemine l’état d’esprit Jugaad en nous invitant à nous extraire d’une vision binaire : haut de gamme (optimisation pour les happy few) ou bas de gamme (réduction pour les moins privilégiés…). D’autres voies sont possibles quand les impératifs low cost se concentrent, au-delà de l’économie des moyens, sur la redéfinition de la valeur, une valeur qui n’est ni un incrément ni une réduction de performance par rapport à l’existant (surcoût d’un côté, perte de qualité de l’autre). Il s’agit de sortir de ce cadre existant et d’identifier de tout nouveaux critères de performance avec de nouvelles équations économiques. La vision inclusive (penser pour tous – différents publics et différents usages!) et l’intégration de paramètres sociétaux au cœur de ces nouvelles équations (plutôt que comme externalités à gérer a posteriori) stimulent ici une quantité d’opportunités nouvelles, comme le montrent les succès de la reverse innovation.
Comme les artistes tirent parti des normes techniques, esthétiques et culturelles qui contraignent leur art pour créer des formes nouvelles, on peut ouvrir grand le champ des possibles dans les modèles économiques…

Tirer parti des normes qui contraignent pour créer des formes nouvelles

#3…l’ordinaire extra

Secret, Cirque ici-Johann Le Guillerm ©Ph. Cibille

2013 a mis en lumière le pouvoir des choses et des gens « ordinaires » par la richesse d’initiatives et d’idées portées par des communautés « grass root », par la multitude de projets pour fabriquer de ses mains « à peu près n’importe quoi » : fablabs et hackerspaces. Un exemple emblématique est Wikispeed, voiture conçue en open source par une équipe d’amateurs passionnés, dont aucun ingénieur automobile, avec un budget et un espace extrêmement contraints.
Comment 2014 peut accélérer le mouvement plus encore ? Peut-être en tablant véritablement, au sein même des milieux économiques « classiques », sur la force de co-conception et de partage avec les utilisateurs eux-mêmes. Ces derniers ne sont pas que des « geeks » ou « lead users » technologiquement avancés : l’utilisateur lambda, depuis toujours, détourne, étend, complète, renverse les usages des produits/services… La créativité lego de notre enfance se retrouve toujours quelque part dans des petits gestes de réinvention au quotidien ! De nouveaux champs de valeur sont à la clé si on sait se servir de cette créativité « sauvage ». Le point de départ de toute innovation frugale est de s’intéresser à ces gestes ordinaires, à l’humain. Il s’agit de partir des activités et des envies des gens et non de solutions pré-établies. On redécouvre au passage les vertus de l’empathie

#4…la foule et les flux = nouvelle classe d’actifs

cirques_630_1Toutes les études montrent qu’il n’y a pas de corrélation entre R&D et innovation et que d’autres paramètres sont nécessaires comme l’ouverture à l’écosystème et la mise en œuvre de combinaisons ingénieuses entre différents acteurs.
Tirer intelligemment parti des flux entrants et sortants, de la foule, de la multitude (crowd-) devient essentiel. Ces flux deviennent mondiaux dans le cadre d’innovations en réseau, au sens de communautés sur le web mais aussi de collaborations entre le Nord et le Sud qui démultiplient les possibles (1+1 = 11 ! –> voir cette présentation de l’innovation « polycentrique » par Navi Radjou). Ces flux sont des ressources ! La valeur est autant dans les capacités intrinsèques des produits et services que dans l’intelligence des chaînes de valeur et des modèles de collaboration entre acteurs et avec les consomma(c)teurs ! Des mécanismes de mutualisation astucieux sont à trouver, en s’inspirant certainement des modèles du web tels que les réseaux MESH : des coordinations décentralisées d’acteurs autonomes, connectés de proche en proche…

1+1 = 11 !

#5… le mélange sans complexe

Centre national des arts du cirque www.cnac.tv  - 26e promotion du Centre National des Arts du Cirque - Première matière première (2013)
Centre national des arts du cirque www.cnac.tv – 26e promotion du Centre National des Arts du Cirque – Première matière première (2013)

Et si on alliait l’improbable ? Et si l’on trouvait de nouvelles « rationalités » dans l’entrelacement des logiques scientifique, littéraire et artistique (triple nature des logiques d’innovation?) ? Une École de Design Durable à Nice, The Sustainable Design School, s’est bâtie au croisement de convergences nouvelles entre l’Art, la Technique et l’Homme et mêle de nombreux champs de connaissances, avec des étudiants venant de tous les horizons : design, architecture, sciences humaines, développement durable, ingénierie, marketing, management… Dans cette Ecole, la pratique du dessin y est cultivée non pas seulement comme mode de représentation mais aussi comme mode de pensée, ouvert et collaboratif, sur l’innovation. Et si cette mixité des savoirs et des univers infusait partout pour penser demain ?

Entrelacer les logiques scientifique, littéraire et artistique

#6…la vacuité pleine ! (Dédicace aux ateliers du chaos !)

Centre national des arts du cirque - THIS IS THE END, spectacle de fin d'études de la 23e promotion, mis en scène par David Bobee (2011) - © Philippe Cibille
Centre national des arts du cirque – THIS IS THE END, spectacle de fin d’études de la 23e promotion, mis en scène par David Bobee (2011) – © Philippe Cibille

« L’homme devrait mettre autant d’ardeur à simplifier sa vie qu’il en met à la compliquer » disait Henri Bergson, et l’on parle aujourd’hui beaucoup d’ « allégement pour se sentir vivre », mais bousculons notre rapport à ces valeurs de légèreté avec le principe de simplexité. On parle souvent en effet de « fonctions réduites à l’essentiel » et le terme « réduit » peut porter à confusion : doit-on penser nécessairement dépouillement ? Peut-on imaginer plutôt des réponses flexibles, modulables, accessibles, ouvertes à la diversité des usages et permettant de restituer la richesse de cette diversité, la richesse et le plaisir de « l’essentiel » finalement ? Il ne s’agit pas de vider de sa substance une solution pensée pour la sophistication mais de penser à une autre forme de sophistication : une proposition de valeur qui trouve dans la simplicité et la légèreté une abondance de sens (symboles, expériences, aspirations). Nous sommes loin de l’homo œconomicus, la valeur se conjugue au pluriel et « l’utile » comme le « désirable » n’ont rien de figé ! Keep it simple, not stupid (pour re-prendre le principe KISS en informatique).

Penser une autre forme de sophistication

#7… le lâcher prise pour…de nouvelles prises !

Centre national des arts du cirque – Marion COLLE, présentation de travail de la 21e promotion (2008) - © Philippe Cibille
Centre national des arts du cirque – Marion COLLE, présentation de travail de la 21e promotion (2008) – © Philippe Cibille

Les moments de chaos sont une opportunité pour ouvrir le champ des possibles, pour développer de nouveaux imaginaires décalés. Et si nous acceptions de moins être dans la maîtrise au sens formel et de recourir bien davantage à nos intuitions, émotions, passions, à des sensibilités plus poétiques et artistiques ? Celles-ci ouvrent sur de nouveaux processus perceptifs à considérer pleinement dans l’acquisition de nouvelles connaissances pour les projets d’innovation. Cette approche par les perceptions, en « suspension », fait corps avec le mouvement : elle réintroduit le vivant, le spontané, l’organique, ce qui fait la force des mécanismes naturels. Une approche clé à l’heure d’une nécessaire « lIfe cycle flexibility »…

Faisons vivre les mots, les objets, les services, les usages, voyageons en terres inconnues et changeons de lunettes pour voir venir le monde en 2014 ! « Tout est changement, non pour ne plus être mais pour devenir ce qui n’est pas encore » (Epictète).

 Merci infini aux lumières circassiennes de l’étoile Anne-Lise et à celles multipolaires de la galaxie Navi !